6 févr. 2014

Ils riaient

J'ai été sexuellement agressée. J'étais belle, libre, amoureuse, et c'est sans doute ce bonheur que "mes" agresseurs ont voulu éradiquer quand ils m'ont prise pour cible.

Je sortais du métro pour retrouver mon amoureux chez lui. C'était un bel après-midi d'avril, les premières chaleurs du printemps. Je souriais parce que j'allais retrouver celui que j'aimais. Enfin, je ne souriais probablement pas, c'était juste mon état intérieur. J'étais bien.
Je portais un pantalon fluide légèrement moulant, un top décolleté, un gilet sur mes bras croisés et mon sac à main. Aujourd'hui, je me justifie encore de la tenue que je portais. Oui j'étais jolie et probablement attirante. Est-ce que ça valait d'être attaquée ? Est-ce que c'est le feu vert que certains hommes comprennent pour s'octroyer le droit de prendre possession du corps des femmes ?

Je parle d'hommes, mais il s'avère que les hommes qui m'ont agressée étaient en fait des adolescents entre 14 et 16 ans environ.
Je marchais dans la rue, et j'ai eu la mauvaise idée de passer sur le trottoir en face d'eux. Je les avais repérés en amont. Ils étaient une petite bande, assis sur des bancs ou des barrières. Je ne les ai évidemment pas regardés, j'ai fait comme s'ils n'étaient pas là. Étaient-ils 3, 4, 5 ou plus ? Je n'arrive pas à me souvenir. Un seul était déjà de trop.

Arrivée en face d'eux, les premiers sifflements ont retenti. Je les ai ignorés. Mais peut-être qu'ils ont ressenti ma crispation et que ça les a excités ? Ces sifflements ont donné suite aux premières interpellations "Eh ! Eh !". J'ai commencé à avoir peur. Peut-être m'ont-ils dit d'autres choses mais mon corps et/ou mon subconscient ont probablement enclenché le réflexe de survie. Celui qui bloque certaines fonctions pour laisser l'organisme se concentrer que sur l'essentiel, c'est à dire vivre.

Je les ai ignorés de nouveau, poursuivant mon chemin. Je me souviens m'être dit de ne pas accélérer le pas de peur de les exciter encore plus. Un peu comme ce qu'on nous dit quand on parle des chiens agressifs. Il ne faut pas se mettre à courir, ça les excite. Je les ai entendus se dire des choses, comme des encouragements. J'ai prié pour qu'ils ne me poursuivent pas. Ils se sont mis à me poursuivre. Quand j'ai entendu leurs enjambés rapides dans mon dos, j'ai compris être devenue leur proie.

Dans leur course, ils se sont jetés sur moi. J'étais au mileu de la rue, à 10 mètres de chez mon petit-ami. Je croyais encore que j'allais m'en sortir, que des jeunes garçons de cet âge ne pouvaient pas avoir ce type de comportement. Quelle naïveté ...
Je ne suis pas tombée mais je me suis courbée. Leurs mains ont commencé à agressé mon corps. Je les sentais attaquer mes fesses. Je protégeais ma poitrine avec mon sac mais leurs mains forçaient le passage. J'essayais d'avancer. Je hurlais, je criais. Ça ne faisait qu'accroître leur excitation.

C'est si bon que ça de toucher le corps d'une femme qui vous hait ? Dites Messieurs les violeurs et agresseurs, c'est vraiment bandant de l'entendre vous supplier d'arrêter ? D'entendre sa voix se casser de trop crier ? Ou d'observer ses rictus horribles sur son visage ? C'est ça le sexe épanouissant pour vous ?

J'ai cru pouvoir me sauver en voyant l'espace minuscule entre les voitures garées sur le trottoir, et le bâtiment. C'est là que j'ai réussi à me faufiler tout en continuant à sentir leurs pattes d'enragés. En me recroquevillant, m'accroupissant, dos au mur, face contre la voiture, ils ne pouvaient plus avoir accès à mes parties intimes, à mes parties féminines, à ce qu'ils voulaient posséder contre ma volonté, me suis-je dit.
Malgré cela, ils ont réussi à passer leurs mains les uns après les autres sur moi. Tout du long, ils s'encourageaient, poussaient des cris, sans maîtrise, sans limite, comme des hyènes excitées par le déclin de leur proie. Et ils riaient.

Pendant que ces chiens me touchaient, j'ai cru ne jamais pouvoir m'en sortir. Ça durait et durait encore. Je suis tombée dans le silence. Je ne hurlais plus parce que j'avais l'impression d'être seule au monde et que de toute façon, personne ne pouvait m'entendre.
Mon cerveau a réussi à faire un calcul ultra-rapide, celui de la perte acceptable : soit je restais ainsi à subir leur assauts écœurants, soit je me relevais et prenais le risque de leur laisser encore plus accès à mon corps, mais en arrivant à entrer dans l'immeuble de mon petit-ami. Voilà comment, forcée,  j'ai négocié avec mon propre corps, ma propre conscience : perdre un peu de moi pour faire survivre le reste.

Alors je me suis relevée parce que je voulais survivre et que ça s'arrête. Ils étaient heureux de pouvoir profiter encore plus de ce que je ne leur avais jamais autorisé à faire. J'ai réussi à entrer dans l'immeuble et à sonner à l'interphone comme une dingue. Deux ou trois m'ont suivie à l'intérieur pour profiter jusqu'à la dernière goutte de mon être, puis se sont échappés, repus. Un dernier s'est mis à hurler sur moi "Qu'est-ce que tu fais ?". Sa question avait pour sens "Tu te prends pour qui à vouloir nous échapper et à alerter les gens ?". Il a fini en me donnant un grand coup de pied dans les jambes puis à fuir.

Je tremblais. Mon petit-ami est arrivé. Je me suis réfugiée chez lui.

Ça n'était pas un quartier sensible, ni un quartier déserté, mais je n'ai pas souvenir d'avoir vu des gens autour. Je ne peux en vouloir à personne de ne pas m'avoir aidée, car je ne suis même pas sûre que quelqu'un ait vu.

Après tant d'années, je me questionne toujours sur ce qui a pu provoquer cette horde de sauvages. Et je me questionne chaque jour quand je croise des hommes.


Est-ce qu'il aura envie de me toucher parce que mes cheveux tombent nonchalamment sur mes épaules ? Est-ce qu'il va avoir un geste déplacé parce qu'il aura cru à une invitation dans mon regard ? Est-ce qu'il va m'agresser parce que ma poitrine sera trop rebondie pour lui, ou trop visible dans mon décolleté ?

J'ai commencé à écrire cette note dans le train qui me ramenait chez moi. En me questionnant, la première chose que j'ai vue en sortant de la gare, c'est une publicité pour de la lingerie féminine, affichée ostensiblement derrière la vitre de l'abri-bus. Un buste de femme, parfaitement cadrée sur sa poitrine et ses hanches, sans tête. Ce que j'ai voulu conserver et protéger, est offert.

Ils riaient, et j'avais 16 ans.